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Pour une histoire du désir

A history of desire

Resume

Ce qui frappe dans une exploration de l’histoire du désir sexuel, c’est le contraste entre l’omniprésence de ce sentiment dans les sociétés humaines, quelle que soit l’époque considérée, et la représentation négative que certains, philosophes et religieux, en ont constamment et systématiquement donnée.

Le désir a ainsi été disqualifié d’office par ceux à qui répugnait la part animale de l’homme: les bêtes n’agissent que pour satisfaire leurs besoins physiques; l’homme moral doit donc s’en distinguer en refusant d’agir pour le plaisir. Telie est la conviction des stoïciens au premier siècle de notre ère, vite rejoints par les théologiens de la jeune religion chrétienne. Pour Cicéron ou Sénèque, “rechercher un acte à cause du plaisir qui lui est lié est un abus”. Ils appliquent ce principe aussi bien à l’alimentation qu’aux soins du corps: les animaux sans raison vivent pour manger, alors que l’être humain moral mange pour vivre, lui; la nourriture et l’entretien du corps ont pour but la santé et non pas le plaisir… Dans le même esprit, la sexualité ne se justifie que si elle a pour finalité la reproduction.

Pourtant, constate déjà saint Augustin, ce n’est pas ainsi que les humains se motivent à agir, et ce Père de l’Église doit reconnaître qu’il n’a jamais rencontré de mari capable d’affirmer “n’avoir eu de rapports que dans l’espoir d’engendrer” (Sur le bien conjugal).

D’autres penseurs ont été plus nuancés, et distinguent d’une part un désir acceptable, restant sous la domination de la raison et poussant à l’action positive, et d’autre part un désir dégradant, irrationnel, aboutissant à la passion (toujours imaginée déraisonnable). Seul le second est à fuir; le premier est source de bonheur et d’épanouissement, il reste le moteur habituel de l’action humaine.

Les penseurs chrétiens du Moyen Âge, attentifs au vécu des croyants, finiront par admettre timidement que la mémoire, comme caractéristique humaine, est un des plus beaux dons du Créateur, et qu’elle permet aux humains de se souvenir des plaisirs passés, donc d’avoir légitimement le désir de les renouveler: le coït sans projet de procréation apparaît alors comme conforme au plan divin. “Si quelqu’un mange une poire ou un beau fruit pour le seul plaisir, il ne pèche pas. II en est de même quand il connaît sa femme pour le seul plaisir” affirmera même un théologien, à contre courant de l’opinion religieuse dominante.

Mais, loin des discussions théoriques, les individus témoignent de leur profond attachement au jeu avec le désir, que ce soit dans la société mouvante de la Renaissance, à la cour du roi Soleil, dans les salons des Lumiéres ou encore, contredisant nos idées reçues, dans le nouveau monde industriel du XIXe siècle.

Aujourd’hui, alors que les responsables religieux ont toujours massivement une conception stoïcienne du plaisir et du désir, la pensée moderne a évolué dans sa compréhension de la place de ce dernier dans l’expérience humaine. Elle lui reconnaît un rôle moteur, source primordiale de l’épanouissement et stimulus puissant de toute créativité.

L’histoire du désir sexuel s’offre alors comme la recherche des étapes de l’enrichissement que l’espèce humaine a apporté au simple instinct animal, et celle des formes prises par les réactions individuelles ou sociales à sa mise en œuvre.

Abstract

The striking feature of the history of sexual desire is the contrast between the omnipresence of sexual desire in human societies, regardless of the period considered, and the negative representation constantly and systematically given to this desire by philosophers and religious leaders.

Sexual desire was automatically rejected by those who were disgusted by the animal side of man. The Stoics of the first century A.D., rapidly followed by theologians of the young Christian religion, were convinced that animals only act to satisfy their physical needs, but that moral man had to distinguish himself from the animals by refusing to act simply for pleasure. For Cicero and Seneca “seeking an act because of the pleasure it procures is an abuse”. They applied this principle to food as well as bodily care: unthinking animals live to eat, while moral humans eat to live; food and maintenance of the body ensure health but do not provide pleasure. Similarly, sexuality is only justified for reproductive purposes.

However, as already observed by Saint Augustine, this is not the way in which human beings act, and this Church Father had to admit that he had never met a husband able to claim that he “only had sexual intercourse in the hope of fathering”.

Other thinkers were more moderate and distinguished acceptable desire, kept under the control of reason and leading to positive action from degrading, irrational desire ending in passion (always considered to be unreasonable). Only the second form of desire must be avoided; the first leads to happiness and fulfilment and remains the force that usually drives human action.

Christian thinkers of the Middle Ages, attentive to the real life of believers, finally accepted that the human characteristic of memory is one of the most beautiful gifts of God, allowing man to remember past pleasures and therefore to rightfully experience the desire to repeat these pleasures: coitus without a reproductive purpose therefore appears to be part of the divine plan. A theologian, in contrast with dominant religious opinion, even declared “if someone eats a pear or a beautiful fruit only for the pleasure, it is not a sin. The same applies when a man has intercourse with his wife only for the pleasure”.

However, far from theoretical discussions, individuals declared their deep attachment to desire, during the Renaissance, at the court of the Sun King, in salons of the Enlightenment or even, in contrast with a widely held belief, in the new industrial world of the 19th century.

Today, while religious authorities still generally have a Stoic view of pleasure and desire, modern thought has advanced in its understanding of the place of desire in human experience and recognizes it an essential driving role responsible for fulfilment and a powerful stimulus for all forms of creativity.

The history of sexual desire therefore corresponds to the steps of enrichment of basic animal instinct by the human species and the individual and social forms of expression of this desire.

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Correspondence to Yves Ferroul.

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Communication au XXIo Congrés de la Société d’Andrologie de Langue Française, Clermont-Ferrand, 9–11 Décembre 2004,

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Ferroul, Y. Pour une histoire du désir. Androl. 15, 62–70 (2005). https://doi.org/10.1007/BF03035192

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